Jean Claude Le Gouic a eu 80 ans en octobre. Il a produit à cette occasion en une performance festive, 80 formats 20 x 20 cm, tous différents.
Cette exposition a été aussi l’occasion de revisiter une partie de son œuvre et de mettre en regard les abstractions expressionnistes, longtemps pratiquées, et un travail proche de la nouvelle abstraction.
Jean Claude Le Gouic a coutume de fêter ses anniversaires décadaires en peinture. Cette fois, l’exposition à Urban Gallery propose entre autres œuvres quatre-vingts formats de 20×20 cm. Il s’agit d’une fête de la couleur, d’une effervescence de formes et de tons où le mat et le fluo, les courbes et les droites, les taches et les points, le grêle et le sourd, bref tous les constituants de la peinture se rassemblent et se hèlent d’une pièce l’autre. Notre sensualité optique se régale. Nous en avons pour notre plus grand plaisir plein les yeux. Identité du format et diversité des œuvres font un vivant équilibre.
Ce n’est pas le seul caractère qui distingue cette nouvelle série, qui revêt en outre la dimension d’une performance. Soulignons d’abord le côté prouesse : si la peinture n’a pas d’âge, le peintre de son côté ne sent pas non plus, à son contact revigorant, couler les ans. La protestation juvénile qui ainsi frappe nos yeux est le fait d’une réalisation qui aura duré trois mois.
Or la performance ici a une signification plus précise, propre au monde de l’art. Certes, elle puise aux connotations de l’anglais to perform (exécuter une action), mais en la surlignant d’une valeur conceptuelle. La performance relève d’une idée qu’elle présente de manière singulière. C’est en quoi la peinture de Le Gouic associe étroitement l’aspect (en son hédonisme matériel) et le prospect attaché à l’intelligence de l’art. J’ai souvent entendu le peintre, à propos de sa création, parler de système : ce n’est pas qu’il enferme son faire dans un moule, mais il guette une cohérence apte à satisfaire tant la pensée que la sensibilité. Ce qu’il fuit, c’est le débordement subjectif : il cherche plutôt à obtenir la confiance du spectateur sur l’essentiel en le faisant entrer dans le processus de création, où le travail en cours est inducteur de ses suites plastiques.
Les œuvres ici montrées sont éminemment des compositions, au sens peut-être où l’entendait un Kandinsky ; les figures colorées se complètent, se chevauchent et s’opposent dans un jeu à la fois maîtrisé et sachant lâcher la bride sur le cou à l’impulsion. L’espace plastique est remuant : il tresse, tisse, tire le trait, entrelace, raye brutalement, hache, glisse une nuance de gris qui relance la lutte des couleurs distribuées. Il est éminemment vivant, privilégiant les effets optiques et quasi cinétiques (jusqu’à l’éblouissement) dans les œuvres les plus récentes, tandis que des pièces plus anciennes projettent des précipités plastiques dans un espace où dialoguent vide et matière.
Je tiens Jean Claude Le Gouic pour un des peintres importants du temps présent. Que ceux qui ne le savent pas déjà, regardent et regardent encore !
Michel Guérin
Né en 1946, le philosophe Michel GUÉRIN, membre de l’Institut Universitaire de France, a enseigné l’estéthique à l’Université d’Aix-Marseille, dont il est professeur émérite.